Psychanalyse : interview d’Ariane Kalfa

Ariane Kalfa et la psychanalyse

Quelle est la différence entre psychothérapie et psychanalyse ?

A.K : La psychanalyse est une méthode d’investigation des mystères de l’être humain, inventée par Freud, reprise par nombre de ses disciples et révolutionnée par Lacan. Le point fondamental en psychanalyse est l’hypothèse de l’inconscient. L’on peut faire une psychothérapie sans l’hypothèse de l’inconscient mais on se confronte alors rapidement à une impasse car l’inconscient jaillit de toute part de manière inévitable.
Par ailleurs, la modalité diffère : La psychanalyse se passe sur le divan alors que la psychothérapie se déroule en face à face. Ce qui prend sens dans la relation à soi et au psychanalyste.
L’inconscient n’est pas seulement individuel mais il est aussi collectif, il s’agit de l’histoire de l’espèce humaine, du peuple, de la culture, du pays auquel appartient le sujet analysant. En psychanalyse, le rapport au langage, à la mémoire, à l’inconscient et au psychanalyste est différent parce que l’inconscient est une mémoire travaillée et retravaillée qui s’oublie, qui se re-souvient et dont l’on se re-souvient à partir de l’expérience des autres et du monde.

Êtes-vous freudienne ou lacanienne ?

A.K : Freudienne en ce que Freud est un interprète des rêves et lacanienne en ce que Lacan a mis à jour la “grammaire de l’inconscient” donnant lieu à l’interprétation.

Vous venez du domaine de la philosophie, de la théorie. Qu’est-ce qui vous a poussé à vous orienter vers la psychanalyse, à aller à la rencontre des personnes ?

A.K : Il y a quelque chose de très désincarné, de déshumanisé en philosophie. Dans l’histoire de la philosophie occidentale, il n’est pas de place accordée aux émotions, à l’intelligence émotionnelle, au ressenti, à toutes les subtilités de l’affectivité humaine, comme si penser était une activité automatique, robotisée à l’extrême et que l’on avait oublié que derrière la pensée, il y avait des êtres humains qui pensent, par lesquels et pour lesquels, la philosophie existe. La psychanalyse est une réponse à cet univers “désincarné”, décorporéisé de la philosophie.

En psychanalyse, tout ce qui intéresse le sujet a un lieu, une existence : son langage, son vécu et tout ce qui est beaucoup plus subtil, sa voix, son corps, son regard. En un mot, tout ce qui fait lien avec sa mémoire, c’est-à-dire, son humanité.

L’essence de cette humanité est toute entière dans sa mémoire. Tout ce qui apparaît d’un être humain, sa réalité sensible est mémoire : une voix-mémoire, un corps-mémoire, un regard-mémoire. Son « âme » est une mémoire vivante. En ce sens, un bon psychanalyste est celui pour lequel l’âme de son patient, sa psyché est phainomenon, est « apparition ».

Quels liens peut-on établir entre la philosophie et la psychanalyse ?

A.K : L’un des liens fondamentaux consiste en un travail sur le langage. C’est le langage qui structure, crée réinvente la réalité du sujet et qui, par là-même, l’inscrit dans la réalité. C’est le langage qui traduit, déchiffre, interprète et commente la réalité. C’est lui qui décrypte le vécu, les événements qui font l’histoire individuelle. C’est par le langage que « l’analysant analyse ».
Entre un système philosophique et le vécu de l’être humain, le système philosophique est second. Cette primauté de l’être humain qui se donne en psychanalyse n’existe pas en philosophie. Ce n’est pas l’objet de la philosophie. Jusqu’à l’arrivée de l’École de Francfort : Adorno et Horkheimer ont intégré l’importance de la psychanalyse à leur philosophie.

Certains de vos maîtres (Sigmund Freud, Elie Wiesel, Walter Benjamin, Max Horkheimer et bien d’autres) sont de confession juive. La judéité est-elle un terrain propice à l’introspection, donc à la psychanalyse ?

A.K : La psychanalyse et le judaïsme sont l’histoire d’une Transmission. D’une Transmission transgénérationnelle dirait Anne Ancelin Schutzenberger. Je dirais, quant à moi, que cette transmission est l’histoire d’un héritage et d’un élitisme transgénérationnel. Toute la question est de savoir ce que l’on comprend et ce que l’on transmet à partir de son propre vécu. Il faut vouloir… Vouloir s’élire soi-même. Dire « oui » à la vie. En attendant de dire « merci ». A la vie ? A Dieu ? C’est selon ses croyances, sa foi, son histoire, ses choix d’existence.
Il suffit d’ouvrir le Pentateuque pour constater que c’est l’histoire d’un vécu qui se transforme en leçon morale pour les générations à venir, c’est la leçon de vie que nous lègue chaque patriarche dans son expérience singulière qui devient une transmission transgénérationnelle.
L’on parle beaucoup aujourd’hui de « tikoun olam », de réparation du monde. Cette idée, c’est le kabbaliste Isaac Louriah (le Ari, Ecole de Safed, XVIe siècle) qui a mis à jour le concept de « vases brisés » (shevirat hakélim), à l’origine de la création du monde.
Le Ari a montré le chemin d’une réparation du monde. C’est le rôle de l’homme de réparer le monde.
Cependant, aujourd’hui nous oublions que pour réparer le monde, il faut nécessairement passer par une réparation du moi. Par une transformation et une réparation. Car un homme souffrant ne peut réparer un monde malade…

La psychanalyse peut-elle s’appliquer à tous? Dans quel cas est-elle recommandée ou déconseillée?

A.K : On a l’habitude de diviser les structures individuelles en trois : la névrose, la psychose et la perversion. La psychanalyse est utilisée essentiellement pour les névrosés. Il y a aussi ceux qui se situent entre la névrose et la psychose (borderline). De la même manière que chaque être humain est unique au monde, chaque analyse est singulière, exceptionnelle, originale et subversive. Elle n’est pas spécifique aux êtres qui ne sont pas normaux mais en revanche, sauve, protège, préserve, prémunit les êtres humains du risque de la normalité.
La psychanalyse est l’espoir donné au monde que l’homme peut toujours devenir autre. Devenir un autre que lui-même.

Combien de temps dure une psychanalyse? Quel est le rythme des séances? Combien de temps dure une séance ?

A.K : Il faut du temps et des années pour une psychanalyse. C’est absolument antinomique avec l’idéologie actuelle selon laquelle tout va très vite et tout doit aller très vite. Mais l’être humain évolue dans le temps et le dialogue avec l’inconscient également. L’idéal est 2 à 3 séances par semaine. La durée de la séance dépend du psychanalyste et du patient. Ce qui compte, ce n’est pas la durée de la séance mais ce qui est dit, le contenu de la parole. Certaines séances peuvent durer cinq minutes.

Quel rapport le psychanalyste doit-il entretenir avec son patient ?

A.K : Une relation de confiance où la distance et la proximité sont bien maîtrisées. Autrement dit, tout est question de respect de l’autre. Le psychanalyste doit prendre soin de ne pas divulguer sa vie privée à ses patients. Il doit être bienveillant et toujours considérer que le patient est premier, et comme dirait Emmanuel Kant, est « une fin en soi ».

Quelle place le silence prend-il en psychanalyse ?

A.K : La psychanalyse a subi une transformation profonde ces dernières années. Les demandes des patients ont bouleversé la relation entre le psychanalyste et l’analysant.
Au départ, c’est en se confrontant au silence du psychanalyste que le patient pouvait avancer, progresser dans la quête de sa vérité, dans la compréhension de son inconscient et dans son cheminement analytique. Le silence donnait lieu à une dynamique profonde et réelle. Cependant, le XXe siècle étant ce qu’il est, et en particulier, étant le siècle du silence de Dieu dans l’histoire de l’espèce humaine, les analysants qui ne recueillaient pas de parole de la part du psychanalyste se considéraient eux-mêmes comme des orphelins errant dans la Nuit, celle d’Elie Wiesel, bien sûr. Alors, il a fallu « envelopper » le patient d’une parole qui puisse l’accompagner dans sa souffrance, parole qui se substitue au silence primordial de la psychanalyse.

À quel moment peut envisager la fin d’une psychanalyse ?

A.K : Lorsque l’on connaît bien son propre inconscient et que l’on n’est plus figé dans la répétition d’un traumatisme, dans le symptôme, dans cette jouissance morbide. Lorsque l’analysant est en mouvement, c’est-à-dire qu’il est “vivant”, qu’il n’est plus atteint par la névrose et qu’il se connaît lui-même, suffisamment,
pour éviter les pièges que lui tend son inconscient, lorsqu’il se choisit lui-même au lieu d’être choisi par un ensemble de déterminismes inconscients… alors quelque chose émerge comme une évidence. Evidence pour l’analyste et l’analysant. C’est la « fin » de l’analyse. Et simultanément, c’est comme si elle était « infinie », car la vie porte en elle quelque chose d’infini.

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