08 Déc Le transfert en psychanalyse : moteur de la cure, présence de l’inconscient
Le transfert en psychanalyse : moteur de la cure, présence de l’inconscient
Parmi les concepts centraux qui différencient radicalement la psychanalyse des autres formes d’accompagnement psychologique, le transfert occupe une place essentielle. C’est par lui que le passé fait retour dans le présent, que les conflits inconscients s’actualisent, et que le sujet peut, enfin, en dire quelque chose.
De Freud à Lacan, le transfert n’a cessé d’être repensé, clarifié, affiné. Loin d’être un “attachement” naïf ou un simple phénomène relationnel, il constitue l’espace même où opère l’inconscient.
1. Freud : le transfert comme répétition vivante de l’inconscient
Freud découvre très tôt que ses patient·es ne se contentent pas de raconter leur histoire :
ils la rejouent dans la relation avec lui.
1.1. Le transfert : une mise en acte du passé
Dans La dynamique du transfert (1912), Freud écrit que le patient “ne se souvient pas… il répète”.
Cela signifie que l’inconscient ne se livre pas sous forme de souvenirs clairs, mais sous forme de répétitions vivantes, souvent involontaires.
On retrouve par exemple :
des attentes d’amour ou de reconnaissance,
des sentiments de rejet, de colère,
des peurs anciennes,
des attitudes de soumission, de défi, de séduction.
Tout cela se redéploie dans l’espace transférentiel, comme un théâtre où rejoue le drame infantile.
1.2. Pourquoi le transfert est indispensable
Là où la mémoire échoue, le transfert donne corps à la vérité subjective.
C’est ce qui distingue la psychanalyse des psychothérapies centrées sur la cognition ou le comportement :
ici, ce n’est pas une technique que l’on applique sur l’individu, c’est le sujet lui-même qui se met en jeu.
2. Lacan : le transfert comme adresse au sujet supposé savoir
Lacan apporte une lecture décisive du transfert, qui permet de comprendre pourquoi il est si puissant.
2.1. Le sujet supposé savoir
Pour Lacan, le transfert naît quand le patient suppose à l’analyste un savoir sur son inconscient.
C’est cette supposition — cette croyance — qui rend possibles :
la mise en mots,
l’association libre,
l’acceptation des interprétations,
la traversée des résistances.
L’analyste n’a pas à “posséder” ce savoir :
il doit simplement soutenir la position où le sujet l’adresse.
2.2. Le transfert, structure de l’acte analytique
Lacan va plus loin :
le transfert n’est pas un accident affectif, c’est la structure même de l’analyse.
Sans transfert, il n’y a pas :
d’inconscient à l’œuvre,
d’effet de parole,
d’interprétation,
de déplacement subjectif.
Il n’y a qu’une conversation.
2.3. Résistance et amour de transfert
Lacan rappelle que “l’amour de transfert” n’est pas de l’amour pour la personne de l’analyste, mais pour la place qu’il occupe — celle où se loge le désir du patient.
C’est un amour adressé au lieu de l’Autre, non à l’individu.
3. Comment le transfert opère dans la cure
3.1. Les mots s’adressent
Un même mot, prononcé chez un ami, n’aurait aucun effet.
Prononcé devant l’analyste, il devient signifiant.
Parce qu’il est adressé.
L’analyse n’est pas un monologue ; c’est un discours adressé à quelqu’un.
3.2. Les répétitions deviennent lisibles
Dans la vie quotidienne, la répétition se vit comme un échec :
“Je retombe toujours dans les mêmes relations”,
“Je fais toujours les mêmes choix”.
En analyse, ces répétitions deviennent lisibles, car elles se jouent dans la relation transférentielle.
C’est là que l’analyste intervient — par la coupure, l’interprétation, l’orientation.
3.3. L’interprétation touche au réel du sujet
L’interprétation classique n’est pas un conseil.
Elle est un acte qui introduit une coupure :
elle vise à toucher le point précis où le discours du sujet se noue.
Le transfert rend cette coupure possible :
sans investissement transférentiel, il n’y a pas de moment où la vérité peut surgir.
4. Le transfert hors du cabinet : psychanalyse à distance
Contrairement aux idées reçues, le transfert ne dépend pas :
du visage,
du regard,
du corps présent.
Freud comme Lacan situent son moteur dans le discours.
4.1. La voix comme vecteur transférentiel
Lacan introduit la notion d’objet voix :
le téléphone, paradoxalement, rend cet objet plus pur, plus direct, moins parasité par l’image.
Le transfert circule donc pleinement par :
l’intonation,
les silences,
les hésitations,
les coupures.
4.2. La distance géographique n’affaiblit pas le symbolique
Le transfert s’inscrit dans le symbolique, pas dans l’espace physique.
Une cure par téléphone, si elle est menée avec rigueur,
permet au transfert de se déployer avec la même intensité — parfois même avec davantage de précision.
Le transfert, condition de l’inconscient :
Le transfert est ce par quoi le passé trouve un chemin vers le présent,
ce par quoi le sujet rencontre son propre désir,
ce par quoi la parole devient acte.
Freud l’a découvert comme phénomène,
Lacan en a révélé la structure.
Aujourd’hui, que la cure se déroule en cabinet ou par téléphone,
le transfert demeure — parce que l’inconscient est un effet de discours, et non de présence physique.
La psychanalyse n’agit pas en dépit du transfert :
elle agit par le transfert,
et c’est cela qui lui donne toute sa puissance thérapeutique.