AMOUR ET PASSION

Le sentiment d’amour et la vie sentimentale sont des notions difficiles à cerner et à définir.

Eros, le Dieu grec de l’Amour, dissimule le mystère de l’amour. Avec l’invention de la psychanalyse, Freud a élucidé l’énigme de l’amour.

En psychanalyse, la force de l’Eros est nommée Libido. Il s’agit d’une énergie sexuelle qui anime les pulsions de notre vie psychique. Une énergie vaste et non mesurable qui aspire au plaisir et tente d’éviter le déplaisir. Si Freud désigne le terme Eros, pulsion de vie, c’est  en opposition aux pulsions de mort.

C’est pourquoi, pour l’homme comme pour la femme, le rapport amoureux demeure complexe puisqu’il est dépendant d’une réalité psychique, d’une vie psychique ramenée à un jeu de forces pulsionnelles qui se favorisent ou s’inhibent les unes les autres.

Dans cette dynamique, quel plaisir attendent-ils l’un de l’autre ? L’homme voudra savoir ce que dédire la femme et la femme se demandera de quel désir l’homme la veut désirante.

La femme préférera garder cachée sa séduction sous le mystère de l’amour.

Elle se réservera le droit de dévoiler ses charmes à la condition de se savoir aimée plus que désirée.

Si elle garde secret son pouvoir de séduction, c’est par peur de n’être pas aimée. Cette peur peut l’amener à détruire en elle la réalisation de son désir sexuel et à se complaire dans la douleur.

Pour elle, là où il y a désir, il n’y a pas amour et là où il y a amour, il n’y a pas désir.

De son côté, l’homme renonce à décrypter l’énigme de la féminité.

Il a en mémoire l’expérience du complexe d’Œdipe, de la castration symbolique et de l’image du meurtre originel du père et il ne veut pas revivre cette crainte primordiale.

Dans le complexe d’Œdipe, le petit garçon devient amoureux de sa mère. La tétée du sein maternel et les soins corporels prodigués par la mère, ont été les premières satisfactions de son désir.

Il souhaite la posséder physiquement en prenant la place du père qu’il considère comme un rival et qu’il doit tuer.

Pour surmonter ce complexe, le petit garçon doit admettre la possibilité de la castration comme punition de l’inceste. Il doit intégrer la loi paternelle pour se détacher de la mère et chercher ailleurs que chez elle l’objet de ses amours.

En acceptant ce refoulement, il parvient à détruire ce complexe.

Comme le garçon, la petite fille a comme premier objet d’amour la mère qui par la tétée et ses soins corporels a satisfait ses premiers désirs.

Lorsqu’elle constate l’absence de pénis, elle se considère comme castrée. Elle choisit le père comme objet d’amour en désirant avoir un enfant de lui pour combler son envie de pénis.

Le rôle du père, que Lacan nomme le Nom du Père, encouragera la féminité en séparant la mère d’avec la fille. L’envie du pénis débouchera sur une attitude féminine « normale ».

C’est pourquoi, à l’âge adulte, le rapport au désir reste soumis aux processus inconscients de cette période Œdipienne.

Dans le rapport amoureux, de quel désir l’Autre est-il désirant ?

Et quel désir l’Autre peut-il satisfaire ?

Du côté féminin, la femme mettra en valeur sa beauté. Pour attirer le regard de l’homme et provoquer son désir, la femme revêtira les parures plaisantes et consentantes de la féminité.

Comme toute femme est toujours une rivale, elle vérifiera vis-à-vis de ses semblables si elle est admirée et donc désirable.

Une fois ancrée dans l’image sociale de la séduction, son plaisir sera d’être l’objet du désir de l’autre. En répondant au désir de l’autre, elle sera désirée mais son désir ne sera pas le sien.

Pourquoi la femme n’aurait-elle pas droit au désir autonome ?

Si la femme ne s’autorise pas la jouissance de son désir, c’est parce que désirer sans aimer équivaut pour elle à être une femme de mauvaise vie. Elle refoule ses fantasmes incestueux inconscients car la jouissance prend la forme d’un vice qui lui fait honte, d’une inconvenance qui la choque.

Elle refoule ses sentiments érotiques car mieux vaut abolir le désir que d’être mal aimée.

L’envie d’être courtisée a plus de valeur que la réalisation de sa sexualité. Pour elle, les pulsions sexuelles doivent être éducables et elle préfère réprimer tout instinct violent quand l’amour se montre animal.

Derrière l’amour courtois se cache l’exclusivité de l’amour. La femme veut être l’épouse d’un seul homme, de préférence protecteur comme l’image paternelle, elle veut être la Désirée et ne faire qu’un avec son partenaire. Elle craint de le perdre et ne veut l’abandonner à aucun prix.

Mais l’énergie sexuelle ne tient pas compte des émois du cœur. Lorsque l’amour devient l’unique sujet du désir, les pulsions sont inhibées.

D’autre part, le plaisir féminin à être l’objet du désir de l’autre équivaut également à celui du désir de la mère. La mère qui a été le premier désir de cet autre.

La mère n’a pas de phallus et l’amour s’adresse à une mère phallique et non à une mère châtrée.

Le désir se dévoile alors comme sujet du manque.

Ainsi, la femme pense qu’elle ne possède pas ce que l’homme désir en elle. Désirante de son désir, elle s’aperçoit qu’elle peut en être manquante.

Pour cacher cette défaillance, la femme se situe alors entre plaisir et douleur.

Puisque le plaisir n’est pas atteint, c’est la douleur qui fait son apparition.

La femme aura plaisir à érotiser cette douleur pour se présenter à l’autre comme source inépuisable de plaisir.

Mais une libido insatisfaite reste un signe de souffrance qui ne peut mener qu’à un déni du refoulement.

Ainsi, pour satisfaire un plaisir autonome, la femme ne doit pas annuler son désir devant celui de l’autre. C’est elle-même qui doit être désirante de son désir.

Pourquoi la femme refoule-t-elle si facilement ses pulsions sexuelles ?

C’est parce que la femme a une grande faculté de sublimation. En effet, elle échange une satisfaction qui est à l’origine sexuelle contre une autre qui n’est plus sexuelle. En remplaçant un but sexuel vers un autre but non érotique, elle pense échapper à la frustration.

Mais dans de pareilles transpositions, il s’agit d’une désunion pulsionnelle que Freud appelle une désexualisation.

C’est en tant que sujet du manque que la femme peut trouver la place désirée. Elle peut éprouver du plaisir en se sachant manquante de son désir, en acceptant ce désinvestissement.

Dans l’amour unique, la femme tend à prouver que c’est elle seule qui peut satisfaire le désir de l’autre. Le propre de sa féminité est d’être reconnue que par un autre.

Pourtant, la force de la libido s’attache à la réalisation du désir et sa force est sans limites.

C’est pourquoi, de son côté, l’homme ne relie pas nécessairement, amour et désir.

Pour lui, l’amour et la fidélité peuvent être perçus comme le renoncement au désir.

Pour affirmer sa puissance virile, l’homme ne peut nier la possibilité du désir pur.

C’est au nom de son seul désir qu’il reconnait sa supériorité phallique.

Aussi, il peut concevoir toutes les femmes comme l’objet idéalisé de son désir.

L’homme veut décider des femmes. Lorsqu’il a fini une aventure, il veut passer à une autre.

Ce faisant, il passe à côté de l’énigme de la féminité.

En effet, tout son investissement narcissique vient à s’écrouler s’il se découvre assujetti au bon vouloir de l’autre. Il semble alors impuissant à assouvir le désir féminin alors qu’il prêtant en être le maître. En niant le fait que l’amour est un rapport à deux, c’est à lui-même que l’homme refuse la pleine satisfaction.

D’autre part, ce que l’homme tente de nier, c’est la menace de castration dont la mère a été la première à éveiller l’angoisse.

A la question du sexe, l’enfant découvre ceux qui sont pourvus d’un pénis et ceux qui n’en ont pas.

Il s’ensuit un désaveu ou un déni face à la menace de la castration.

Par la suite, un compromis permettra à l’enfant de résoudre ce complexe en reconnaissant la castration.

C’est pourquoi, la femme anonyme représente pour l’homme un rempart illusoire contre la crainte de la castration. Il éprouve un mépris pour la femme mutilée ou castrée qui fait figure d’objet interchangeable, offerte au désir du partenaire et dispensatrice de jouissance.

La femme anonyme valorise chez l’homme son autonomie de désirant parce qu’il n’a pas de compte à lui rendre. Elle n’éveille pas en lui cette angoisse qui fait le refoulement et qui correspond à une réalité qui lui paraît cataclysmique.

Dans la relation amoureuse, l’homme désire que la femme soit désirante de son désir mais la réciprocité n’est pas vraie.

La femme n’aurait pas le droit d’éprouver du plaisir si l’homme n’était pas le bénéficiaire de son plaisir.

Cependant, il semble que si le plaisir du partenaire devient signe d’amour alors la femme pourra faire, de l’objet de son propre plaisir, le garant de son désir.

Ainsi, elle n’aura plus besoin de réprimer ou de modifier la pulsion sexuelle en accord avec son désir.